Chapitre 1
Ishan attendait au feu piéton pour traverser la route, lorsqu’il se sentit observé avec une insistance désagréable. À 26 ans, il n’avait pas encore acquis assez d’aisance pour ignorer ce type de comportement auquel il était régulièrement confronté. Du fait de ses origines indiennes, il avait les traits fins, la peau mate et un menton à la pilosité très discrète ; bien qu’il soit français, la société lui faisait ressentir qu’il n’était pas tout à fait comme tout le monde.
L’homme qui attendait à côté de lui le regardait fixement. Ishan, mal à l’aise, se demandait si ce dernier le connaissait, mais son visage ne réveillait aucun souvenir.
— Excusez-moi, mais vous avez exactement le même regard que Delhia, une amie à moi, seriez-vous de sa famille ? lui demanda l’inconnu.
Ishan sentit une peur sourde lui étreindre le ventre, mais tenta de ne rien laisser paraître. Il regarda le petit bonhomme du feu piéton devenir vert et prit une respiration.
— Désolé, vous faites erreur, je ne connais personne de ce nom-là, répondit Ishan qui s’empressa de poursuivre son chemin.
Chapitre 2
Ce soir, Delhia avait décidé de se mettre en beauté. Elle passa une robe rouge très courte au décolleté plongeant, de jolis bas, des talons aiguilles, se maquilla, se coiffa, attrapa son sac à main et sortit. Ses fesses sautillaient à chacun de ses pas et les hommes qu’elle croisait ne pouvaient s’empêcher de se retourner sur son passage. Ses mains glissaient sur sa robe ; elle savourait ce contact doux et rassurant. Chaque vêtement constituait pour elle une seconde peau, un plaisir de tous les sens. Elle aimait fermer les yeux quelques secondes et ressentir le frisson au bout de ses doigts lorsqu’ils caressaient le tissu soyeux. Sa robe se transformait en sa cape de beauté, de confiance en soi, l’une de ses multiples cartes de visite.
En quelques minutes, elle se retrouva devant une grande porte noire à doubles battants et frappa. Un visage se dessina derrière l’ouverture grillagée pour vérifier son identité, et l’instant d’après, elle était à l’intérieur. Elle avait depuis longtemps ses entrées dans ce club privé.
Il était tard, l’endroit était un peu sombre et déjà bien rempli. Le comptoir était l’un de ses lieux favoris après la piste de danse. Quelques personnes la saluèrent ; ici, elle se sentait chez elle. Elle prit un verre avec un habitué, échangea quelques paroles futiles et quelques rires, puis elle se décida à investir l’espace. Son corps aimait bouger au son de la musique. Ses gestes étaient harmonieux, félins, sensuels. Même si elle appréciait être regardée et admirée, elle finissait par ne plus remarquer les yeux rivés sur ses formes ondulantes, tant elle se laissait envoûter par le mouvement de la vie. Pendant sa danse, il se dégageait d’elle une puissance et une beauté fascinantes ; elle semblait faire corps avec la musique. Elle ne dansait pas, elle était la danse ; tout son être était un instrument traversé par les sons et les rythmes, créant sa propre symphonie corporelle. Ceux qui se risquaient à l’approcher dans ces moments-là avaient tout intérêt à être en phase, sinon ils se faisaient repousser sans aucun ménagement. Par contre, les quelques rares personnes qui vivaient la musique comme Delhia pouvaient passer des heures avec elle dans un duo qui transcendait la réalité. Dans cette fusion, plus rien n’existait autour d’eux, il n’y avait que la musique, les sensations des corps qui se répondent, la chaleur, le jeu, la sensualité et le désir.
À 4 heures du matin, elle refit le trajet en sens inverse. Le sourire qui se lisait sur ses lèvres disait tout.
A propos de l'Auteur
Qui suis-je?
L’écriture est depuis mon enfance une source de jeu, d’émerveillement et de liberté.
J'ai toujours été portée par les arts et leurs pratiques, à travers la danse, le théâtre et l'écriture. Intuitive et curieuse, j'ai eu à cœur de m'initier à l'art-thérapie, à la méditation, au tantra et plus récemment, à la danse soufi que je pratique également sur scène.
Chacune de ces expériences me permettant de découvrir, avec un regard différent et sans cesse renouvelé, la diversité du monde qui nous entoure.
Thalia DARNANVILLE
Le Pitch !
L'origine des Maux, son contenu en bref :
Deux personnages voient leurs vies qui s’entremêlent contre leur gré.
L’un se débat avec une mémoire défaillante et l’autre avec une disparition énigmatique.
Leur quête de vérité, menée dans une étrange réalité et associée à d’inquiétantes rencontres, les poussera jusqu'aux limites de leur personnalité.
Tout en cherchant à démêler les fils de leur vie, nous partagerons leurs blessures, leurs émotions et leur besoin d’être aimés et reconnus.
Une réflexion sur l’identité, les influences familiales et notre place dans le monde.
Style
Roman, quête, enquête
Chapitre 3
De retour chez lui après sa journée de travail, Ishan poussa la porte et se laissa aller sur son canapé, sans aucune énergie pour se préparer à manger.
Sa vie l’épuisait. Son travail lui prenait trop de temps et il dormait mal. Chaque matin, il se réveillait avec une lourdeur dans son corps qui lui faisait comprendre que quelque chose n’allait pas dans sa vie. Cela faisait longtemps qu’il n’avait pas connu un vrai sommeil réparateur. Peut-être devrait-il aller consulter un médecin, mais il n’arrivait pas à s’y résoudre. Depuis quelques années, il était devenu méfiant envers le corps médical.
Et Delhia, qui refaisait surface, venait ajouter de l’anxiété à son quotidien. Il avait pensé en être débarrassé, mais voilà qu’elle réapparaissait dans sa vie, un an après une nuit qu’il aurait préféré oublier. Il se souvenait de chaque coup, de l’intensité de la douleur irradiant son corps, de sa tête rebondissant sur le pavé, avant d’être laissé pour mort au milieu de la rue. Une nuit dont chaque seconde, étrangement, était restée gravée dans sa mémoire alors qu’elle lui avait fait perdre une grande partie de ses souvenirs passés, « amnésie rétrograde probablement transitoire », lui avait-on dit à l’hôpital. Cependant, la mémoire ne lui était pas revenue comme escompté, seuls quelques flashs, des visages, des noms, des sensations ou émotions ressurgissaient, mais le cours de son histoire passée restait flou. Heureusement, ses connaissances techniques et ses capacités cognitives n’avaient pas été altérées, ce qui fut salvateur pour lui. Il avait pu reprendre une vie presque normale assez rapidement.
Il ne comprenait pas comment Delhia avait pu en arriver là, ni ce qu’il avait pu faire pour déclencher en elle cet élan de rage, cette haine qui semblait viscérale ; il allait devoir trouver des moyens pour s’en protéger. Sa tête était lourde et la fatigue lui tomba dessus sans même qu’il ait pu quitter son canapé.