L'Origine des Maux - Thalia Darnanville

L'Origine des Maux - Thalia Darnanville

Chapitre 4 - L'origine des Maux

Delhia n’arrivait pas à fonctionner autrement qu’en dormant le jour et en vivant à la lumière des rayons de lune. Depuis qu’elle habitait seule, elle était devenue un oiseau de nuit, et cela lui convenait parfaitement.

Comme presque tous les soirs depuis plusieurs semaines, elle se prépara pour sortir. Avant de passer la porte, elle s’arrêta devant le miroir pour se regarder, admirer son corps, ses formes, ses longues jambes fines ainsi que son regard souligné par un trait de khôl noir. Elle aimait plaire tout autant que se plaire à elle-même. Elle se délectait à jouer avec le désir des autres, même si elle ne les désirait que très rarement en retour. Elle cherchait à attirer l’attention des hommes sur son corps, pour se sentir désirée. Ceux qui venaient ici savaient parfaitement que moyennant quelques billets, les coins sombres de ce club leur permettraient d’assouvir leurs fantasmes. Du moins, les soirs où elle était d’humeur, car certains soirs, elle pouvait facilement repousser un prétendant si elle avait seulement envie de danser. Elle avait quelques habitués qui avaient appris à en prendre leur parti, les soirs où la belle devenait farouche. Elle était comme ça Delhia. Et elle ne ramenait jamais quelqu’un dans son appartement. Elle pouvait se laisser entraîner dans une ruelle sombre, ou dans un hall d’immeuble, mais personne n’avait eu le privilège de se faire inviter chez elle. Elle tenait à ce que la limite entre sa vie privée et son travail soit totalement imperméable.

 

Elle venait dans ce lieu par intermittence depuis quelques années : si elle pouvait y passer toutes ses soirées à certaines périodes, elle le désertait complètement à d’autres. Certains se demandaient quelle était la raison de ses absences, mais personne n’avait réussi à percer le mystère. Les plus poétiques pensaient qu’elle voyageait, en bonne compagnie de préférence, alliant le plaisir et l’argent. D’autres l’imaginaient droguée quelque part, d’autres en prison pour des délits plus ou moins avouables. Avec la vie qu’elle menait dans ce club privé et l’impression qu’elle donnait d’être possédée lorsqu’elle dansait, il n’en fallait pas davantage pour que chacun se fasse une idée sur le reste de son existence. Bref, les ragots allaient bon train, mais elle ne s’en préoccupait pas. Et il y avait fort à parier qu’aucun d’eux ne découvrirait la vérité, pas même celui qui avait croisé Ishan par hasard dans la rue le jour précédent.

 

Lorsqu’elle arriva ce soir-là, il était encore tôt et l’endroit était presque désert. Elle alla s’asseoir dans un bout du bar où quelques minutes plus tard, le barman lui apporta son Gin Fizz, un cocktail que le patron préparait sur commande au Blender et qu’elle adorait plus que toutes les autres boissons. Sucré et acidulé, d’une couleur laiteuse, elle n’en avait jamais goûté d’aussi bons ailleurs. Elle aimait moins le regard lubrique que le patron posait sur toutes les femmes qui entraient, à partir du moment où elles avaient un décolleté attirant ou des jambes largement dénudées, mais c’est ici qu’elle se sentait le plus chez elle. Elle revenait encore et encore, malgré ce petit chauve aux lunettes rectangulaires qui n’espérait qu’une chose : caresser, l’air de rien, la moindre rondeur féminine qui passait un peu trop près de lui. Heureusement, le barman était adorable et la complicité entre eux allait jusqu’à se moquer du Thénardier, comme ils aimaient secrètement à l’appeler.

Trois verres plus tard, elle se lança sur la piste de danse, bientôt rejointe par d’autres corps désireux d’obéir aux mouvements que la musique induisait en eux. La nuit allait être longue et joyeuse, Delhia n’en doutait pas.

 

Après quelques heures endiablées, et quelques verres supplémentaires offerts, elle prit le chemin du retour, seule.

 

 

Mais elle n’eut pas le temps d’arriver à destination. Bien qu’étant à pied, elle se fit interpeller par deux policiers sur la Canebière, qui attendaient les sorties de bar arrosées. Elle se demanda s’ils arrêtaient toutes les femmes seules pour s’amuser un peu ou si son origine indienne avait joué à son désavantage. Mais cela ne changeait rien à son malaise : elle était sortie sans ses papiers.

Elle tenta immédiatement une approche aux yeux de biche enjouée, mais cela ne fit que renforcer l’unique question qu’ils semblaient connaître : « Vos papiers d’identité s’il vous plait ». Elle tenta alors de leur expliquer la situation : elle n’habitait pas loin et elle était seulement sortie un court moment, et n’avait pas pris ses papiers ; au mieux, elle avait sa carte de crédit. Mais cela leur était bien égal, pour eux, les options se limitaient à des papiers d’identité ou au poste.

Elle perdit rapidement son sourire ; elle voulait seulement rentrer se coucher, mais ils ne l’entendaient pas de cette façon. Cela ne lui était jamais arrivé auparavant et elle commença à être inquiète, d’autant que son esprit était trop imbibé d’alcool pour être complètement lucide. La suite se passa très vite, comme dans un rêve : elle tenta de fuir, mais les deux policiers étaient plus rapides et la rattrapèrent facilement ; ils n’avaient pas de chaussures à talon. Alors qu’ils tentaient de la maîtriser, une vague de panique la submergea. Chaque contact physique avec ces deux agents était comme un coup de poing qu’elle recevait, une brûlure sur sa peau. Elle se sentait à vif, comme un animal que l’on va éviscérer, et toutes ses sensations, si elles étaient décuplées, étaient également déformées par le prisme d’une terreur inexplicable qu’elle éprouvait en cet instant. Incapable de se contrôler, elle se mit à hurler et à se débattre ; elle remonta un coup de genou dans l’entrejambe du premier, et le second se retrouva avec une profonde morsure sur la main. Elle était enragée, comme si deux criminels avaient voulu attenter à sa vie. Cependant, ce n’était pas de criminels qu’il s’agissait, mais de deux représentants de la loi, et après avoir reçu un coup de poing dans l’estomac, elle se retrouva menottée et emmenée au poste pour défaut de justification d’identité et violence envers des agents dans l’exercice de leurs fonctions.

 

Ce n’est que bien après son arrivée au poste que sa terreur mêlée de rage se calma, et qu’elle put prendre la mesure de ce qu’elle venait de faire. Elle allait finir sa nuit au poste, rentrer au petit matin chez elle, et serait convoquée sous quelques semaines pour répondre de ses actes.

 

Pour lire la suite, rendez-vous ici.

 



19/01/2021
1 Poster un commentaire

A découvrir aussi